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Le Liban a toujours occupé a l’'intérieur du Proche
et du Moyen-Orient une place originale, en raison de sa diversité humaine
et de ses liens privilégiés avec l’Occident. Aussi a-t-il
longtemps joué un rôle important, sans rapport avec son poids démographique
(environ 4 millions d’habitants au début des années 1996)
et ses dimensions restreintes (10 400 km2, soit approximativement la superficie
d’un grand département français). Au cours des siècles,
le Liban a été une « montagne refuge », ce qui explique
la mosaique confessionnelle actuelle et le pluralisme culturel. Ce pays,
qui fut longtemps la seule démocratie parlementaire de l’Orient arabe,
a connu jusqu’en 1975 une incontestable prospérité, bien qu’inégalement
répartie. Grace au dynamisme de ses entrepreneurs et au développement
d’une économie de services, le Liban était devenu le principal
relais entre les pays du monde capitaliste et le reste du Proche et du Moyen-Orient.
Les clichés habituels, d’ailleurs un peu excessifs, qui vantaient
« le miracle libanais » ou « la Suisse du Proche-Orient »
ne sont plus de mise, car, depuis 1975, le Liban traverse une crise très
profonde qui remet en question son identité même. A l’intérieur
d’un Orient arabe toujours en ébullition, le Liban est sans conteste
le pays qui a connu, depuis 1975, les bouleversements les plus impressionnants,
sous l’effet d’un conflit très complexe aux rebondissements
incessants, par suite des multiples dimensions (nationale, régionale et
internationale) de la crise qu’il traverse. Quinze ans de guerre ont vu
ainsi se succéder toutes les formes d’affrontements internes, entre
communautés et a l’intérieur des communautés,
dans lesquels sont intervenus directement ou indirectement les principaux acteurs
régionaux (les Palestiniens, Israël, la Syrie), sans oublier le jeu
des grandes puissances. Les infrastructures ont été détruites,
et près d’un quart de la population a émigré. La paix
fragile restaurée au début des années 1990 n’est qu’une
étape sur la voie de l’indépendance complète du pays
et de la participation de toutes ses composantes nationales au nouveau régime.
La guerre
La « guerre des deux ans » (1975-1976)
La guerre débute, le 13 avril 1975, par un accrochage meurtrier entre
Kataëb et militants palestiniens radicaux dans la banlieue de Beyrouth.
Au mois de février, l’armée avait réprimé
a Saida une manifestation populaire contre la vie chère,
a laquelle s’étaient joints des fidayin en armes ; déja
se dessinait, entre le Mouvement national, les élites musulmanes frustrées
par le partage communautaire et les Palestiniens, la coalition qui allait affronter
durant deux ans les forces conservatrices dominées par les maronites
et appuyées par quelques brigades de l’armée. L’étincelle
palestinienne éclate dans la poudrière libanaise alors que le
Proche-Orient tout entier vit a l’heure des remises en cause :
a la suite de la guerre d’octobre 1973, les dirigeants arabes ont
troqué leurs aspirations révolutionnaires contre un pragmatisme,
des intérêts étroitement étatiques et des négociations
avec Israël sous égide américaine. Cette nouvelle stratégie
implique le verrouillage de la revendication palestinienne dans leurs pays respectifs,
parfois même son écrasement militaire. En revanche, sur le territoire
libanais, la lutte armée et le radicalisme se jouent d’un État
qui a longtemps proclamé que « sa force était dans sa faiblesse
» ; ils se conjuguent pour menacer les équilibres traditionnels.
Échappant au contrôle d’une armée paralysée
par ses loyautés contradictoires, les affrontements entre « conservateurs
chrétiens » et « islamo-palestino-progressistes » -;
c’est ainsi que la presse étiquette deux coalitions complexes et
changeantes -; se propagent a l’ensemble du pays, dressant
village contre village, vallée contre vallée et quartiers contre
quartiers. Embuscades, guérilla urbaine a la kalachnikov, tirs
de francs-tireurs non identifiés sont bientôt suivis par l’entrée
en lice de canons et de lance-roquettes que les milices se sont procurés,
grace aux subventions des émigrés ou de protecteurs arabes.
Les civils sont les cibles privilégiées de bombardements et de
tirs aveugles, d’attentats, d’enlèvements et d’assassinats,
tandis que les pillages et les destructions alimentent les cycles de représailles.
Durant l’automne de 1975, le centre de Beyrouth brûle, les grands
hôtels sont le siège d’apres batailles entre Kataëb
et forces progressistes, en particulier les Mourabitoun -; combattants
sunnites menés par le jeune Ibrahim Qoleilat -;, les grandes banques
qui faisaient la réputation et la richesse du pays sont pillées.
Lorsque la Syrie impose un cessez-le-feu le 22 janvier 1976 et propose un rééquilibrage
du partage des pouvoirs entre communautés, la capitale est déja
traversée par une ligne de front qui sépare désormais l’«
Est » chrétien de l’« Ouest » a majorité
musulmane.
En quelques mois, la guerre dessine a travers le pays les frontières
entre les deux principaux protagonistes. Les habitants chiites et palestiniens
des camps et des banlieues de l’entrée nord de Beyrouth sont expulsés
par la force en janvier 1976 ; en riposte, les chrétiens de Damour, petite
ville côtière au sud de la capitale, doivent fuir par mer ; des
deux côtés, plusieurs centaines de personnes sont massacrées.
Les forces militaires progressistes et les organisations palestiniennes qui
les ont rejointes les unes après les autres profitent de l’éclatement
de l’armée, en mars 1976, pour resserrer leur étau autour
des régions centrales du Metn et du Kesrouan où le président
Frangié se réfugie parmi ses alliés du Front libanais dirigé
par Camille Chamoun et Pierre Gemayel.
La Syrie, déja présente dans la guerre a travers
la Sa’iqa , prodigue avertissements et soutien aux deux adversaires. Le
président Assad ordonne l’entrée de troupes et de blindés
au Liban, discrètement a partir d’avril et massivement a
dater du 1er juin 1976, dans le but de préserver le statu quo et de mettre
en échec les ambitions des « palestino-progressistes ». Dans
cette initiative, le souvenir amer de la division du Proche-Orient en États
séparés au début du siècle et de l’acquiescement
enthousiaste de certains maronites est toujours présent. Mais les militaires
majoritairement originaires de la communauté alaouite qui gouvernent
a Damas ont des ambitions stratégiques plutôt qu’un
projet d’annexion. Leur intérêt est d’éviter
la sécession d’un petit Liban chrétien qui s’allierait
a Israël, tout en freinant la surenchère socialisante et
nationaliste arabe a leurs frontières. Au printemps de 1976, les
milices des mouvements progressistes et leurs alliés palestiniens resserrent
leur étau autour des forces chrétiennes et menacent Beyrouth-Est
; les dirigeants maronites, Camille Chamoun et le président Frangié,
réclament du secours, ouvrant la voie a une intervention dont
ils ne finiront pas de déplorer l’ampleur et la durée. De
juin a octobre 1976, la progression des troupes syriennes se heurte a
une sérieuse résistance palestinienne, en particulier a
l’entrée de Saida, ainsi qu’aux réticences de
la communauté arabe au nom de laquelle la Libye et l’Algérie
tentent en vain une mission d’interposition. Simultanément, les
combats font rage dans la capitale et ses banlieues, avec un acharnement particulier
autour du camp palestinien de Tell ez-Zaatar, qui tombe aux mains des Kataëb
et du P.N.L. après un siège de cinquante-deux jours, avec l’aide
indirecte des Syriens et des Israéliens a la fois. L’entrée
dans Beyrouth, le 15 novembre 1976, de l’armée syrienne met fin
a la « guerre de deux ans », sur fond de ruines et de bombardements
intermittents.
L’« arabisation » de la crise du Liban, c’est-a-dire
l’intervention militaire et diplomatique des puissances régionales
arabes, a été précipitée par l’entrée
en scène de l’armée syrienne. Convoqués a
Riyad (16 oct. 1976), le président libanais et le chef de l’O.L.P.
sont invités par l’Arabie Saoudite et l’Égypte a
reconnaitre la légitimité de la présence des troupes
syriennes au Liban. Fort d’une reconnaissance arabe et d’une promesse
de financement, le président Assad accepte quant a lui que des
contingents symboliques d’Arabie Saoudite, des Émirats arabes unis,
du Soudan, de la Libye et des deux Yémens se joignent a ce corps
de 30 000 hommes rebaptisé Force arabe de dissuasion (F.A.D.). Le sommet
de la Ligue des États arabes au Caire (25 oct. 1976) entérine
l’accord de Riyad. Après que le président Sadate se rend
a Jérusalem un an plus tard (19 nov. 1977) et amorce le désengagement
de l’Égypte a l’égard de la cause palestinienne,
la Syrie, l’O.L.P. et Israël, désormais engagées sur
le champ de bataille libanais, vont y poursuivre leur lutte pour le contrôle
de la Palestine.
Ni guerre ni paix (1977-1981)
L’« arabisation » de la crise ne favorise guère le
dialogue entre Libanais. Elle enferme les adversaires dans leur opposition irréductible,
installe le Liban dans la guerre. Pour succéder a Sleiman Frangié
dont les insurgés réclamaient le départ anticipé,
Élias Sarkis a été élu par les députés
le 8 mai 1976. Gouverneur de la Banque du Liban, proche du général
Chehab, il est préféré par la puissance syrienne a
Raymond Eddé qui avait fait du départ des troupes étrangères
le premier point de son programme. Un gouvernement de technocrates, formé
en décembre 1976 sous la présidence de Sélim el-Hoss, s’engage
a accorder la priorité a la reconstruction du pays. Mais
l’aide arabe promise n’arrive pas et près d’un quart
de la population, réfugiée dans les États arabes voisins,
a Chypre et en Occident, hésite a regagner le pays, même
si la prospérité parait résister a la guerre,
a la faveur de la hausse vertigineuse des revenus pétroliers.
Car, a l’intérieur, le ramassage des armes lourdes reste
symbolique et la sécurité précaire. Non seulement les efforts
pour rétablir l’entente nationale ne progressent pas, mais, tandis
que la coordination s’améliore entre la F.A.D. et les mouvements
palestiniens, de nombreux et violents affrontements opposent l’armée
syrienne aux milices chrétiennes en février, en avril et, surtout,
de juillet a octobre 1978, ponctués par d’intenses bombardements
des quartiers résidentiels de Beyrouth-Est. Les forces de Damas quittent
les régions chrétiennes qu’elles encerclent désormais
entre Batroun et Beyrouth et dominent depuis les hauteurs du mont Liban. Le
massacre de Tony Frangié, le fils de l’ancien président,
et de sa famille le 13 juin 1978 consacre d’autre part la rupture des
maronites du nord du Liban avec le Front libanais.
Dans le Sud, les dirigeants israéliens du Likoud adoptent une nouvelle
stratégie « préventive » contre les attaques de la
résistance palestinienne et multiplient les incursions armées.
En mars 1978, une opération terrestre et aérienne de plusieurs
jours jusqu’au Litani provoque l’exode de 200 000 Libanais vers
Saida et Beyrouth. En se retirant en juillet, l’armée israélienne
fait obstacle au déploiement jusqu’a la frontière
de la Force intérimaire des Nations unies du Liban (F.I.N.U.L.) créée
par la résolution 425 du Conseil de sécurité. Elle confie
le contrôle d’une « ceinture de sécurité »
d’une dizaine de kilomètres de profondeur, du littoral a
Merjayoun, a l’« armée du Liban libre » commandée
par le colonel dissident Saad Haddad. Avec 1 500 miliciens, environ 1 000 soldats
et surtout le soutien de l’armée israélienne, celui-ci empêche
l’avancée de l’armée régulière dans
l’extrême Sud et proclame, le 18 avril 1979, l’État
du Liban libre, depuis lequel ses forces bombardent les zones « palestino-progressistes
», en particulier Saida en mars et mai 1980.
La volonté syrienne de contrôler la situation militaire dans la
Beqaa afin d’empêcher une attaque israélienne empruntant
la plaine intérieure libanaise provoque un triple affrontement au printemps
de 1981 : d’abord entre la F.A.D. et les Kataëb qui cherchent a
occuper Zahlé et a inclure la ville dans leur zone de contrôle.
Puis entre la F.A.D. et Israël qui fournit un appui aérien aux Kataëb
contre les hélicoptères de Damas et exige le retrait des missiles
d’origine soviétique Sam 2 et Sam 6 installés dans la Beqaa
depuis le 29 avril 1981. Soutenue par l’Arabie Saoudite et l’U.R.S.S.,
la Syrie maintient ses missiles et reprend le contrôle de Zahlé
; mais les combats se sont propagés jusqu’a Beyrouth, où
les quartiers chrétiens de l’Est ont subi, eux aussi, de lourds
bombardements tandis que le quartier populaire de l’Université
arabe compte plus de 300 morts après le passage de la chasse israélienne
le 17 juillet. Enfin, l’affrontement se transporte dans le Sud, entre
Palestiniens et Israéliens, avec lesquels l’envoyé américain
Philip Habib négocie trois mois pour obtenir le cessez-le-feu du 24 juillet
1981, qui gèle les opérations militaires pendant presque un an.
Dans un pays de plus en plus divisé, le problème central demeure
celui de la restauration de l’autorité de l’État.
Réunis a Beit ed-Din a la mi-octobre 1978, les bailleurs
de fonds de la F.A.D., menés par l’Arabie Saoudite et le Koweit,
réclament en vain la reconstitution d’une armée nationale
et son envoi dans tout le pays. La promesse des chefs d’État arabes
a Fès, le 25 novembre 1981, de mettre en œuvre une stratégie
commune de défense du pays va rester lettre morte. En réalité,
le président Sarkis, qui remplace, le 25 octobre 1980, Sélim el-Hoss
par Chafiq Wazzan a la tête d’un cabinet de « dialogue
national » aux ministres plus nombreux mais moins expérimentés,
n’exerce son autorité que sur 400 km2 autour du palais présidentiel.
La Syrie fait régner un ordre minimal dans le Nord et la Beqaa, au prix
d’une lourde taxation sur toutes les productions, y compris la culture
du haschich. Beyrouth-Ouest et le Sud, contrôlés par les partis
progressistes, par l’O.L.P. et des organisations musulmanes, dont la nouvelle
organisation chiite de l’imam Sadr, Amal , créée en 1975,
jouissent d’une liberté proche de l’anarchie, sous la protection
-; et a la merci -; de milices locales. L’assassinat
de son chef charismatique, Kamal Junblatt, le 16 mars 1977 a proximité
d’un barrage syrien a en effet privé le Mouvement national d’unité
et de l’essentiel de sa force mobilisatrice.
Dans la zone du Liban chrétien, pouvoir militaire et pouvoir politique
sont unifiés par étapes au prix de sanglants affrontements dont
les Kataëb sortent vainqueurs, du 16 avril au 4 mai puis du 7 au 9 juillet
1980. Désormais, Béchir Gemayel, fils cadet de Pierre, préside
au commandement de la milice de la région, les Forces libanaises qui
substituent leur loi a celle de l’armée et de la police.
Avec Camille Chamoun, il est également a la tête du consistoire
du Front libanais regroupant le parti Kataëb, le P.N.L., les Moines maronites
et le Tanzim (l’« organisation ») des partisans d’un
Liban fédéré, placé sous le signe du « pluralisme
culturel », c’est-a-dire de la décentralisation culturelle,
administrative, voire politique. Le Front libanais multiplie les contacts avec
Israël, qui lui fournit équipements militaires et conseils. Avec
ses ports et ses services de douane, avec ses impôts, ses services sociaux
et ses coopératives, la zone chrétienne constitue la « région
libérée » a partir de laquelle le jeune Béchir
compte se lancer a la reconquête de tout le Liban.
L’invasion israélienne de 1982 et ses conséquences
Mais ce pays a l’armée paralysée et au gouvernement
sans pouvoir est encore une fois victime, en 1982, des tensions régionales.
Les Israéliens, qui ont effectué leur dernier retrait du Sinai
le 25 avril, veulent frapper vite et fort l’O.L.P. et l’armée
syrienne au Liban. L’opération Paix pour la Galilée débute
le 6 juin et engage jusqu’a 100 000 soldats qui traversent les
lignes tenues par la F.I.N.U.L., refoulent quelque 20 000 fidayin vers le nord
en l’espace de neuf jours, franchissent la ligne des 40 km nord initialement
annoncée comme objectif limite par le ministre de la Défense Ariel
Sharon et atteignent la capitale, où ils font leur jonction avec les
Forces libanaises de Béchir Gemayel. Dans le Chouf et la Beqaa, les troupes
syriennes s’effondrent le 11 juin, avec des pertes énormes. Malgré
les résolutions 508 (5 juin) et 509 (6 juin) du Conseil de sécurité
de l’O.N.U., l’armée israélienne encercle les quartiers
ouest de Beyrouth où sont retranchés le commandement et les combattants
de l’O.L.P. Le siège est appuyé, du 1er au 12 août,
par d’intensifs bombardements aériens de la ville, où demeurent
plus de 200 000 civils. Le 20, les États-Unis obtiennent un accord de
cessez-le-feu comportant l’évacuation de l’O.L.P. sous la
protection de 3 000 Américains, Français et Italiens d’une
force multinationale.
Le départ vers divers pays arabes de près de 15 000 combattants
palestiniens dont le matériel lourd est laissé a l’armée
libanaise, le repli des Syriens au nord de la Beqaa et la fermeture des bureaux
de l’O.L.P. constituent une victoire d’Israël au Liban. Plusieurs
centaines de milliers de civils palestiniens restés sur place se trouvent
brutalement privés de protection et d’encadrement. L’élection
de Béchir Gemayel, considéré unanimement comme l’homme
fort du Liban, a la présidence de la République le 23 août,
confirme l’influence décisive d’Israël. Le lendemain
de l’assassinat du président élu, le 16 septembre, l’armée
israélienne investit Beyrouth et laisse perpétrer par des unités
des Forces libanaises un massacre de la population palestinienne des camps de
Sabra et de Chatila. Amin Gemayel, qui succède a son frère
a la tête de l’État le 21 septembre, rappelle alors
la Force multinationale a Beyrouth.
Le sexennat d’Amin Gemayel commence sous le signe de l’espoir. Plusieurs
passages sont réouverts entre les deux parties de Beyrouth. De nombreux
émigrés reviennent et avec eux de l’argent et des projets.
Les États-Unis offrent un soutien financier et une assistance technique
pour la reconstruction de l’administration, des infrastructures et de
l’armée. Sous leurs auspices, une négociation de paix s’ouvre
a Naqoura, près de la frontière libano-israélienne.
Elle aboutit, le 17 mai 1983, a un accord stipulant la fin de l’état
de guerre et un retrait israélien conditionné par un retrait simultané
des forces palestiniennes et syriennes. Amin Gemayel a d’ailleurs dissous
le commandement de la F.A.D. le 31 mars. En dépit des clauses accordant
un droit de police a l’armée israélienne dans le
Liban Sud, le Parlement donne son accord a la ratification le 14 juin,
par 64 voix sur 91.
Déja, pourtant, la Syrie restaure son influence perdue au Liban.
Profitant de l’affaiblissement et des hésitations de l’O.L.P.,
son armée intervient a partir de juin 1983 aux côtés
de dissidents du Fath, expulse les « loyalistes », partisans d’Arafat
de la Beqaa, les assiège a Tripoli en décembre où
des bombardements intensifs viennent a bout de la résistance de
4 000 fidayin, dont la France organise l’évacuation par mer. L’ordre
syrien mettra deux années entières a s’imposer a
la métropole du Nord face aux milices urbaines sunnites, fédérées
dans le Mouvement de l’Unité islamique du cheikh Cha’bane.
Ailleurs, puisque le gouvernement du président Gemayel fait peu de cas
de l’opposition de Damas a ses négociations avec Israël,
le général Assad choisit d’appuyer par tous les moyens les
forces d’opposition qui se mobilisent.
La nouvelle guerre civile
La guerre de l’été de 1982, l’occupation israélienne
et la présence armée syrienne attisent une nouvelle guerre civile,
plus meurtrière encore que celle de 1975, sur un fond de crise générale
avec enlèvements et attentats. La critique s’amplifie non seulement
contre les négociations et l’accord avec Israël, mais aussi
contre les liens entre le président Gemayel et les Forces libanaises
qui se conduisent en maitres de Beyrouth réunifiée, resserrent
leur contrôle sur l’État, les centres de décision
économique, l’Université, l’information et surtout
l’armée. La confiance se détériore au point que,
le 23 juillet 1983, les partisans de Sleiman Frangié rejoignent les formations
de l’ancien Mouvement national dans un Front de salut national appuyé
par Damas. La multiplication des opérations « coup de poing »
et des arrestations par l’armée a Beyrouth-Ouest et dans
la banlieue sud suscite des réactions collectives des réfugiés
chiites dans la capitale. Plus grave, dans le vide créé par le
retrait inattendu de l’armée israélienne de la région
d’Aley et du Chouf, la « guerre de la Montagne » éclate
en septembre 1983. Les druzes du P.S.P., appuyés par des combattants
palestiniens et l’artillerie syrienne, font reculer les Forces libanaises
et l’armée régulière malgré le soutien qu’apportent
a celle-ci la marine et l’aviation américaine. Des massacres
de civils font plusieurs centaines de victimes et des milliers de réfugiés
chrétiens. Désormais impliquée dans la guerre civile aux
côtés du pouvoir, la Force multinationale fait l’objet de
vives critiques et surtout d’attentats de plus en plus meurtriers (230
victimes américaines et françaises le 23 octobre 1983). Ses moyens
de riposte, comme le bombardement par la chasse française de la caserne
des chiites islamistes de Baalbek le 17 novembre, sont inappropriés ;
elle quitte Beyrouth sans gloire en février 1984.
C’est ensuite au tour des chiites de refuser de se soumettre a
une armée devenue partisane, qui n’hésite pas a bombarder
les quartiers populaires de la capitale, faisant plus de 300 morts en février
1984. A la suite de la mystérieuse disparition de Musa Sadr en
Libye en 1978, le mouvement Amal , galvanisé par la révolution
iranienne, prend un nouvel élan sous la direction de l’avocat Nabih
Berri. Sa milice, aidée de la VIe brigade de l’armée, repousse
les forces soumises a l’autorité présidentielle hors
de Beyrouth-Ouest dont elle s’assure le contrôle en éliminant
successivement au cours des deux années suivantes chacun de ses alliés
sunnites et progressistes. Pour tenter de sortir de l’impasse, le président
Gemayel réunit, a Genève du 31 octobre au 4 novembre 1983
et a Lausanne du 12 au 21 mars 1984, les chefs politiques des principales
communautés en un Congrès du dialogue patronné par les
Saoudiens et surtout par la Syrie qui tente en vain de faire adopter un programme
de réforme constitutionnelle. La réconciliation de façade
entre factions opposées permet au moins la constitution le 30 avril d’un
gouvernement « d’union nationale », présidé
par Rachid Karamé et regroupant aussi bien Camille Chamoun et Abdallah
Racy, le gendre de Sleiman Frangié, que Walid Junblatt, le fils du leader
assassiné, et Nabih Berri. Légitimés par leur titre ministériel,
les chefs de guerre se taillent impunément des fiefs dans l’administration
publique.
La préoccupation centrale des Libanais reste toutefois l’évacuation
des forces d’occupation, israéliennes et syriennes. La mobilisation
de l’opposition a vite rendu illusoire l’accord de Naqoura, auquel
le président Gemayel renoncera officiellement, en même temps qu’a
l’accord du Caire de 1969, le 2 juin 1987. Face a sa politique
de « la main de fer » -; arrestations, destructions d’habitations
et de récoltes -; dans les régions qu’elle occupe,
l’armée israélienne suscite une opposition croissante de
la Résistance nationale (laique) et de la Résistance islamique
(chiite) qui lui valent de lourdes pertes humaines et une impopularité
croissante en Israël même. Jérusalem opère un retrait
par étapes entre janvier et juin 1985. Son armée conserve seulement
une « zone de sécurité », d’une vingtaine de
kilomètres de profondeur, et encadre l’Armée du Liban libre,
rebaptisée « du Liban Sud » et confiée au général
Lahad. Immédiatement au nord, les 1 500 hommes de la F.I.N.U.L. assistent
impuissants, et souvent même en victimes, aux accrochages quotidiens entre
résistants libanais et miliciens de l’A.L.S., tandis que, depuis
l’attentat contre la caserne israélienne de Tyr le 12 novembre
1982 (86 morts), les opérations suicides se multiplient. Encadrés
par des dizaines de missionnaires combattants venus d’Iran via Damas,
gratifiés par Téhéran de plusieurs millions de dollars
chaque mois, les militants du Hizb Allah , organisation chiite prônant
l’établissement d’une république islamique au Liban,
s’en prennent a l’occupant et a ses alliés,
mais aussi a Amal et aux groupes laiques, accusés de collusion
avec les Occidentaux, suscitant de violents affrontements dans les quartiers
populaires de la banlieue de Beyrouth et dans le Sud. Pour faire entendre au
monde leurs revendications, les militants du Jihad islamique et de l’Organisation
des opprimés détournent des avions, posent des bombes en Europe
et retiennent une vingtaine d’otages occidentaux parmi lesquels le Français
Michel Seurat qui meurt en captivité en décembre 1985. Une fois
la guerre du Golfe terminée, les dirigeants iraniens imposent un accord
de cessez-le-feu « définitif » entre chiites libanais le
30 janvier 1989.
La Syrie opère un retour en force entre février 1987 et juin 1988
a Beyrouth-Ouest puis jusqu’aux portes de Saida. Le général
Assad n’hésite pas a lancer son allié Amal dans des
combats indécis contre l’O.L.P. mais aussi contre ses alliés
du Front du salut national palestinien né le 25 mars 1985. Durement éprouvés
par la « guerre des camps » et le siège de plus de trente
mois (juin 1985-mars 1988) de Borj al-Barajneh, Sabra et Chatila a Beyrouth,
et de Rachidiyé au sud, les Palestiniens concluent une trêve avec
Amal le 23 décembre 1988.
L’accord de Taëf et la IIe République
L’ébauche d’une solution mettant fin a la guerre
est longtemps bloquée par le désaccord de fond sur les priorités
a observer. La gauche et les chiites réclament l’abandon
du communautarisme politique, ou au moins un rééquilibrage des
pouvoirs. Les chrétiens refusent d’envisager l’avenir a
l’ombre des troupes étrangères. Les affrontements pour le
pouvoir a l’intérieur de chaque zone n’en sont que
plus violents, comme en témoignent les putschs successifs au sein des
Forces libanaises (mise a l’écart, le 9 mai 1985, puis retour,
le 15 janvier 1986, de Samir Geagea) et la guerre interchrétienne qui
oppose les Forces libanaises aux unités de l’armée fidèles
au commandant en chef, le général Michel Aoun (14-24 févr.
1989 et 31 janv.-30 juin 1990), occasionnant les pires destructions a
Achrafiyeh et dans le Metn.
Le mandat présidentiel d’Amin Gemayel s’achève le
22 septembre 1988 sans l’ébauche d’un accord au sujet de
son successeur, en dépit des pressions conjuguées des États-Unis
et de la Syrie. Il charge le général Michel Aoun de former un
gouvernement provisoire qui compte trois membres militaires chrétiens,
tandis qu’a l’Ouest Selim Hoss, Premier ministre par intérim
depuis l’assassinat de Rachid Karamé le 1er juin 1987, maintient
son gouvernement rival de cinq membres. Marquée par une destructrice
mais infructueuse « guerre de libération contre la Syrie »
lancée par le général Aoun (14 mars-22 sept. 1989) et par
de vastes manifestations populistes dans les régions chrétiennes
(juill.-oct. 1990), la division du pouvoir prend fin le 13 octobre 1990 avec
l’attaque libano-syrienne victorieuse contre les forces d’Aoun.
Sous l’impulsion du Comité tripartite de la Ligue arabe (Algérie,
Arabie Saoudite, Maroc) créé le 7 janvier 1989, un accord entre
59 députés (sur 79 vivants) est obtenu a Taëf le 22
octobre 1989, au sujet d’un document constitutionnel. Les amendements
en découlant sont votés par le Parlement le 21 août 1990.
Cet accord prévoit le rééquilibrage du pouvoir exécutif
au profit du Conseil des ministres sous la présidence d’un sunnite,
l’élargissement du Parlement sur une base paritaire entre chrétiens
et musulmans et, a l’avenir, l’abolition du confessionnalisme
politique. René Moawad, député de Zghorta, est élu
président le 5 novembre 1989 et, deux jours après son assassinat
le 22 novembre, Elias Hraoui, député de Zahlé, le remplace.
Prenant position par étapes dans toutes les régions du pays (déploiement
au sud de Saida en février 1991 ; entrée dans la banlieue
sud de Beyrouth tenue par le Hizb Allah en janvier 1993) a l’exception
de la bande « de sécurité » occupée par Israël,
l’armée libanaise confisque leurs armes lourdes aux Forces libanaises,
au P.S.P. et a Amal, débande les milices en mai 1991 et enrôle
près de 4 000 ex-miliciens. Le Parlement est élargi grace
a la nomination par le président de 40 députés en
juin 1991. Lors des premières élections législatives tenues
depuis 1972, en août et septembre 1992, 140 nouveaux députés
sont élus dans une atmosphère de manipulation, de frustration
et d’abstention (près de 70 p. 100 des inscrits), en particulier
de la part des chrétiens du Liban central (près de 90 p. 100 d’abstentions).
Le problème de la légalité douteuse de la IIe République
freine l’adhésion populaire et paralyse la participation des élites
civiles et politiques, d’autant que pèsent deux lourdes hypothèques
sur l’avenir du Liban, la question des relations avec la Syrie et la crise
sociale et économique.
L’accord de Taëf comprend également un volet concernant les
relations syro-libanaises, complété par la signature d’un
accord de fraternité entre les deux pays le 22 mai 1991. D’une
part, le Liban s’engage a harmoniser sa politique extérieure,
mais aussi sa politique économique et sa politique culturelle, avec celles
de son puissant voisin. Nombreux sont les Libanais, en particulier chrétiens,
qui y voient l’établissement d’un protectorat syrien sur
leur pays et récusent du coup la légitimité du nouveau
régime. D’autre part, l’armée syrienne est autorisée
a rester indéfiniment au Liban, son repli dans la plaine de la
Beqaa et son retrait final étant suspendus a la mise en œuvre
de toutes les réformes constitutionnelles (y compris la suppression du
confessionnalisme) prévues ainsi qu’a la fin de l’occupation
israélienne du Liban Sud. Depuis l’ouverture des négociations
israélo-arabes a Madrid (30 oct. 1991), le Liban ne réussit
guère a faire entendre une voix indépendante : il n’obtient
ni l’application par Israël de la résolution 425 (1978) du
Conseil de sécurité ni la suspension des opérations de
résistance du Hizb Allah pro-iranien soutenu par Damas.
Mais, a côté de la généralisation de la corruption
et de la méfiance a l’égard des chefs de guerre entrés
au Parlement et au gouvernement, la cause première de la désaffection
des Libanais a l’égard du fragile État qui se met
difficilement en place est économique. L’arrêt des hostilités
au tournant de la décennie 1990 est advenu dans un contexte régional
et international si défavorable que la confiance nécessaire au
retour des émigrés, a la reprise des investissements et
a la remontée de la livre fait toujours défaut quelques
années plus tard. L’immense terrain vague creusé par les
bulldozers au centre de Beyrouth en attendant les projets mirifiques des promoteurs
immobiliers symbolisait a lui seul, a la fin de 1993, la paralysie
et le scepticisme qui régnaient au Liban après quinze ans de destructions.
Les conséquences de la guerre
De 1975 a 1990, le Liban a connu de profonds bouleversements. Les affrontements
incessants, l’effritement du pays et l’impuissance quasi totale
du pouvoir central sont allés de pair avec des destructions de toute
nature, y compris une détérioration considérable du tissu
industriel et des infrastructures. Les pertes causées par une guerre
de dix-sept ans sont estimées a 25 milliards de dollars. Quant
aux recettes non perçues, elles dépassent les 100 millions de
dollars. Cependant, toute mesure du produit national ou d’autres agrégats
macro-économiques est frappée d’incertitude.
Avant le déclenchement de la guerre civile en 1975, l’économie
libanaise était l’une des plus prospères de la région,
avec des secteurs industriel, agricole, touristique et surtout des services
très dynamiques. En raison de ses caractéristiques libérales,
notamment en matière de secret bancaire, Beyrouth est devenue le centre
financier de tout le Moyen-Orient avec quatre-vingts banques en 1977 (31 libanaises,
26 mixtes, 5 arabes et 12 étrangères), par lesquelles transitaient
les fonds des monarchies pétrolières. L’économie
libanaise peu réglementée, selon le principe du « laissez-faire
laissez-passer », avait accompagné le développement de la
libre entreprise. Le secteur public n’intervenait que pour 12 p. 100 dans
la formation du P.I.B. En septembre 1993, la part de l’État dans
le P.I.B. approcherait les 30 p. 100. Par ailleurs, au milieu des années
1970, le Liban faisait figure de nation riche et prospère, enregistrant
un revenu par tête de 2 100 dollars (en valeur 1991). Après ces
longues années de troubles, ce revenu est réduit a moins
de 1 000 dollars.
A la suite de la réconciliation politique intervenue dans le cadre
de l’accord de Taëf en octobre 1989 et du retour progressif de l’autorité
de l’État dans la majeure partie du pays -; sauf au sud, occupé
en partie par Israël -; depuis octobre 1978, le Liban a connu en 1991
un début de redressement économique. Pour la première fois
depuis des années, le P.I.B. a augmenté de 12 a 15 p. 100
du début a la fin du premier semestre de 1991. En 1993, le montant
global du P.I.B. se chiffre a 4,5 milliards de dollars, contre 3,7 milliards
de la même période de 1992. Parallèlement, la fermeture
des ports illégaux et la récupération des droits fiscaux,
notamment des taxes douanières, ont permis de réaliser des recettes
considérables. Selon le Conseil supérieur des douanes, ces dernières
ont atteint, dans les neuf premiers mois de 1993, 264,6 millions de dollars,
soit une augmentation de 42,8 p. 100 par rapport au volume global de 1992. En
appliquant les droits de douane moyens a la structure des recettes et
en comptabilisant ces dernières au cours du dollar douanier de 800 livres
libanaises pour 1 dollar, le montant approximatif des importations sera de 1
200 millions de dollars. La hausse des importations s’explique par l’extension
de la demande. Les trafics maritimes et aériens ont trouvé leur
rythme d’avant guerre. En effet, 863 navires ont accosté a
la fin du deuxième trimestre de 1993, déchargeant 22 124 conteneurs
de 1 651 303 tonnes de marchandises. Pour sa part, l’aéroport international
de Beyrouth a connu une activité florissante marquée par un important
mouvement de passagers.
Ce mouvement explique le regain d’intérêt et la relative
confiance des Libanais émigrés et de la communauté internationale
des affaires dans l’avenir du pays. Pour 1993, le nombre cumulé
de passagers au troisième trimestre est de 1 021 218. Les réserves
en devises -; auprès de la Banque centrale -; qui avaient plus
que triplé entre le début et la fin de l’année 1991,
passant de 400 millions a 1,3 milliard de dollars, se sont chiffrées,
au 31 janvier 1994, a 1,65 milliard de dollars, alors qu’était
sauvegardée dans le même temps la réserve historique d’or,
estimée a 9,222 millions d’onces. Parallèlement,
la totalité des dépôts auprès des banques s’élève
a 8,4 milliards de dollars, alors qu’elle était de 6,56
milliards en 1992. Cette augmentation de 23,32 p. 100 est due aux rapatriements
de la moitié des capitaux libanais placés a l’étranger
(estimés a 3,5 milliards de dollars), aux placements des investisseurs
arabes, notamment dans le secteur de l’immobilier, ainsi qu’aux
prêts et dons qui ont afflué au cours de l’année 1993.
Cependant, le retard des aides et les difficultés du recours au financement
externe de la reconstruction limitent l’investissement public et réduisent
son effet d’entrainement sur l’investissement privé.
L’économie libanaise souffre toujours des effets de la crise. Le
climat de stagnation et le poids de la dette perturbent tout le processus de
développement du mouvement économique. Dans ce contexte, la dette
publique avoisine 5 000 milliards de livres libanaises. Quant a la dette
extérieure, elle s’accroit chaque fois qu’un projet
de construction est en voie de réalisation. Bien qu’on chiffre
cette dette aux alentours de 400 millions de dollars, il est difficile de le
confirmer avec précision en raison de l’absence de statistiques
crédibles. De son côté, le cours de la monnaie libanaise
a connu une nette stabilisation après des années de chutes brutales.
En effet, le taux de change de la livre libanaise par rapport au dollar et passé
de 1 838 livres libanaises a la fin de décembre 1992 a
1 723 livres libanaises a la fin de septembre 1993. Parallèlement,
le budget 1993 voté une semaine avant la clôture de l’exercice
comptable (15 déc. 1993) -; avec dix mois de retard -; a fait
apparaitre un déficit de 56 p. 100. Quant a celui de 1994,
il est évalué a 40 p. 100. Certaines études affirment
même que le déficit budgétaire pour les années 1993,
1994 et 1995 pourrait atteindre un total de 724 millions de dollars. La balance
des paiements a enregistré un excédent net s’élevant
a plus d’un milliard de dollars en 1993, contre un déficit
de 500 millions de dollars durant les neuf premiers mois de 1992. Les dépôts
en devises des résidents ont reculé de 86 p. 100 du total de leurs
dépôts en septembre 1992 a 68 p. 100 a la fin de
décembre 1993. Ce recul a été expliqué par un certain
regain de confiance en la monnaie nationale.
En outre, l’affaiblissement des principales structures publiques depuis
1975 s’est traduit par une intensification du rôle économique
de l’État. Les pouvoirs publics ont multiplié leurs interventions
et leurs dépenses au moyen d’une série de mesures improvisées.
Les « seigneurs de la guerre » s’accommodaient de cette intervention
qui leur permettait de renflouer leurs camps respectifs sans réduire
leur prérogatives de facto. On a assisté ainsi a un gaspillage
des ressources et des capacités, aboutissant a une aggravation
des difficultés sociales qu’on était supposé combattre.
Et l’on se retrouve en 1994 avec des problèmes sociaux extrêmement
aigus et des structures administratives dégradées dont le redressement
suppose un coût social encore plus lourd. De surcroit, le chômage
s’accentue et la dollarisation se développe de plus en plus, d’autant
que les prix et la contrepartie des services ne subissent aucune baisse significative.
Bien au contraire, ils ont enregistré une hausse relative avec l’amélioration
du taux de change de la livre libanaise. Parallèlement, le gouvernement
de Rafik Hariri a établi un plan de redressement économique a
court terme et un autre a moyen terme allant jusqu’a l’an
2000. Mais il n’a présenté aucun de ces deux projets au
Parlement. En revanche, ce gouvernement continue a engager des dépenses
dans les projets de construction et de développement sans aucun engagement
portant sur des priorités bien définies.
Les retombées sociales de la guerre
La baisse généralisée des revenus au Liban, a partir
de 1984, a été marquée par des distorsions très
profondes d’une catégorie a l’autre. Généralement,
l’inflation touche beaucoup plus les salaires et les rentes fixes que
les revenus mobiles ou provenant des ventes. Si l’on retient l’évolution
du salaire minimum pour apprécier celle du pouvoir d’achat, on
constate que la moyenne annuelle du salaire minimum est passée de 242
dollars en 1982 a 87,6 en 1991, avec des planchers a 35 dollars
et 42,3 dollars respectivement en 1987 et en 1988. En 1993, le S.M.I.C. est
fixé a 176 000 livres libanaises. Dans le domaine du logement,
les perturbations politiques et économiques observées depuis 1975
ont entrainé une forte inadaptation de l’offre a la
demande. Les dommages causés au secteur de l’immobilier du fait
des opérations militaires touchent, selon les estimations du ministère
de l’Habitat, cinquante mille unités environ entre 1975 et 1990.
Par ailleurs, le déplacement de neuf cent mille personnes depuis le début
de la guerre a causé de graves déséquilibres dans les régions
d’accueil, aboutissant a la squattérisation d’espaces
non destinés au logement : bureaux, écoles, hôtels, hôpitaux.
Les mouvements de déplacement déclenchés dès avril
1975 n’ont cessé de croitre sous deux aspects : l’un
temporaire et l’autre a moyen et a long terme. Les efforts
déployés durant l’année 1993 ont abouti au retour
de quinze mille sept cents familles déplacées a Beyrouth,
dans la Montagne, le Nord et la Bekaa (soit environ 80 000 personnes). Cependant,
le problème des déplacés continue d’être un
sujet de polémique entre les différentes parties, notamment les
deux communautés maronite et druze. Le domaine de la santé et
le secteur hospitalier en particulier ont pu maintenir et même développer
de très bonnes structures malgré la crise. Le nombre de médecins
s’accroit et atteindrait en 1993 près de quatre mille spécialistes
et généralistes, avec une baisse relative du nombre de nouveaux
spécialistes, plus attirés par les propositions qui leur sont
faites sur les marchés extérieurs. Le nombre des hôpitaux
était de cent trois en 1990 avec une capacité d’accueil
de 7 186 lits. Avec la hausse des frais hospitaliers et la baisse de la couverture
par la Caisse nationale de sécurité sociale (C.N.S.S.), les Libanais
ont commencé a avoir recours aux assurances privées en
matière de santé. Ce mouvement s’est généralisé
a partir de 1985 et a même pris des formes mutualistes avec l’introduction
des cartes médicales et le recours aux contrats de groupe. La protection
sociale, publique ou privée, offerte aujourd’hui couvre surtout
les frais d’hospitalisation et beaucoup moins les frais médicaux.
Le secteur de l’éducation dans ses différentes branches
a connu une nette dégradation qualitative sous le triple effet de la
perturbation des temps de travail, de la forte baisse des investissements et
de la détérioration du système éducatif, a
la suite de la très forte baisse des revenus des enseignants.
Le secteur privé a mieux résisté aux difficultés
que le secteur public où, pourtant, les effectifs des enseignants n’ont
point diminué. Bien avant la guerre, l’enseignement au Liban n’était
conçu que sur une base académique, en rupture totale avec les
besoins et les équilibres économiques. Cette distorsion a été
aggravée par une hémorragie des effectifs au cours des quatorze
années de l’enseignement scolaire. La situation n’est guère
meilleure pour les enseignements universitaire et même technique qui sont
dispensés pratiquement sans aucun contact avec les secteurs de production.
Plus de la moitié des étudiants universitaires sont inscrits dans
les facultés de lettres et de sciences humaines. L’endettement
cumulé et le gaspillage sur le plan du secteur public ont affaibli sa
productivité. Les faiblesses structurelles de ce secteur sont, d’ailleurs,
bien antérieures a 1975.
L’administration publique libanaise souffre actuellement d’autres
handicaps, notamment dans le domaine du personnel. Le manque d’effectifs
dans certains secteurs ou types de postes est considérable : l’électricité
fonctionne avec moins de 52 p. 100 de ses cadres, les télécommunications
avec 60 p. 100, et les hôpitaux publics de même. Par contre, on
assiste a une pléthore d’effectifs dans d’autres secteurs
tels que l’Éducation nationale, qui a un surplus de cinq mille
instituteurs. Le manque de compétence dû a la fuite du personnel
qualifié vers le secteur privé ou a l’étranger
et le développement de la corruption n’ont fait qu’aggraver
la situation. Ce constat alarmant a incité le gouvernement Hariri a
déclencher une « opération d’épuration »
qui a touché une partie de l’administration. Néanmoins,
la réussite de cette opération de réforme n’a été
que partielle, puisque chaque camp au pouvoir a tenu a protéger
les siens, fonctionnaires corrompus ou incompétents. En outre, des compromis
irrationnels ont souvent été imposés pour tenter de sortir
de certaines impasses politiques, au détriment des bonnes règles
de la gestion administrative. Les politiciens ne se limitent plus au partage
du pouvoir. La gestion des entreprises publiques est confiée aux partisans
et aux proches, ce qui reflète un état d’esprit semblable
a celui de la classe politique qui gouvernait le pays avant 1975. En
effet, le consensus interlibanais n’a pas abouti a un renouvellement
des hommes et des idées, ce qui est grave quand il s’agit de décider
des options économiques et sociales du Liban du XXIe siècle et
de gérer les affaires publiques après une si longue période
de paralysie et de gaspillage.
Les chocs politiques et la régression économique ont créé
de profonds changements dans le mode de vie des Libanais sur le plan tant individuel
que collectif. L’individualisme et le principe du « chacun pour
soi », déja ancrés dans les mœurs, ont été
entretenus par les incertitudes politiques et économiques. La défaillance
des services collectifs, assurés en principe par l’État,
a poussé les Libanais a rechercher des solutions individuelles
a leurs problèmes. En outre, la criminalité et la violence
observées au cours des dernières années ont contribué
a minimiser les autres délits, notamment les enrichissements illicites
et les abus de biens ou de services publics. L’accumulation des richesses
et des revenus est devenue une priorité, indépendamment des moyens
utilisés. La valeur sociale des individus dépend de l’importance
de leur fortune. De plus, la dégradation socio-économique incite
a accorder la priorité au court terme : la rentabilité
des investissements doit être immédiate dans un contexte inflationniste,
la consommation prend le pas sur l’épargne, tandis que la spéculation
est entrée dans les mœurs et séduit aussi bien les hommes
d’affaires avisés que les femmes au foyer. A ces effets
d’ordre psychologique vient s’ajouter une dimension matérielle.
Il s’agit de la faiblesse du revenu, qui demeure une source d’instabilité
et d’insécurité pour les ménages : elle laisse un
sentiment diffus d’injustice, 500 dollars par mois constituant le seuil
de pauvreté. Cette situation est a l’origine de tensions
qui se manifestent a propos de l’emploi des jeunes. De même,
on assiste a l’apparition d’un important chômage déguisé,
au moment où le taux, pour 1993, est estimé a 10 p. 100
de la population active.
Démarrage de la reconstruction
La vague d’optimisme créée autour de la reconstruction
dénote une volonté politique de batir un Liban sur de nouvelles
bases ; une volonté économique de redonner au pays, ou du moins
a Beyrouth, une base de prospérité ; une volonté
populaire d’en finir avec l’arbitraire des milices, des destructions
et de l’effondrement du niveau de vie. De son côté, l’État
libanais se trouve confronté a une tache extrêmement
ardue pour l’élaboration des projets, le financement et la réhabilitation
des infrastructures. Face a ce défi, l’État a confié
cet épineux dossier au Conseil pour le développement et la reconstruction
(C.D.R.). Cet organisme créé en 1977 a établi, en mai 1991,
une étude exhaustive de planification pour la reconstruction du Liban.
Son rapport publié en décembre 1991 constitue le plan de reconstruction.
La première étape appelée « programme de réhabilitation
», dont l’exécution doit prendre de trois a cinq ans,
vise a restaurer l’infrastructure sociale et économique.
Ce programme identifie cent vingt-six projets répartis sur quinze secteurs
selon l’ordre des priorités. Le coût global pour la réalisation
de ces projets est estimé a 4,5 milliards de dollars. 56 p. 100
de ces investissements devront être des investissements étrangers.
La deuxième étape comporte le programme de redressement. La durée,
étalée sur cinq ans, commencera dès la fin de la troisième
année. Son but consiste a effacer définitivement les séquelles
de la guerre. La troisième et dernière étape, qui constitue
le plan de développement a long terme de l’économie
libanaise pour les quinze années suivant la deuxième phase, devra
servir de cadre a une croissance équilibrée et déboucher
sur un aménagement optimal du territoire. Cette troisième étape
sera financée essentiellement par des fonds nationaux. La pierre angulaire
de cette vaste opération, dont les besoins sont évalués
a 10 milliards de dollars, est la reconstruction du centre-ville de Beyrouth.
La reconstruction du centre historique et commercial de la capitale libanaise
a été une préoccupation des gouvernements successifs depuis
1977. La capitale est en effet un symbole particulièrement mobilisateur
de la restauration de l’État et de sa souveraineté. Le plan
actuel de reconstruction de 160 hectares dans le centre-ville, dont les moyens
juridiques ont été mis en place par la loi no 117 du 7 décembre
1991, séduit par son souci d’efficacité et de rapidité,
puisque tous les biens-fonds sont rassemblés et gérés par
un opérateur unique, dégagé de toute contrainte de type
administratif. Il séduit également par la perspective de voir
affluer des capitaux arabes pour participer aux opérations de promotion
immobilière, suivant les promesses faites par les milieux financiers
qui sont a l’origine du schéma prévu par la loi.
Cette dernière n’a pas tardé a soulever des problèmes
de type constitutionnel axés sur deux questions principales : la confusion
de l’intérêt privé et de l’intérêt
public, le respect de la propriété privée. L’ampleur
de la polémique qui a duré quelques mois s’est atténuée
progressivement a partir du 10 janvier 1994, date de la clôture
de l’opération de souscription aux actions de la Société
libanaise pour le développement et la construction du centre-ville de
Beyrouth, Solidère.
Le montant global des vingt mille souscripteurs a atteint 926 millions de dollars,
dépassant la demande de 650 millions définie par la société
foncière. La part des Libanais a été de 600 millions, le
reste constituera celle des souscripteurs arabes, saoudiens en majorité.
Sept banques étrangères a côté de vingt-deux
banques locales ont assuré la commercialisation des actions de Solidère.
A partir de la création officielle de cette société,
six premières années seront consacrées a l’infrastructure
de base (routes, tunnels, canalisations) et a la réhabilitation
des édifices du cœur historique de Beyrouth (Saifi, les souks,
Ghalgoul). Des situations historiques favorables, identiques a celles
qu’a connues Beyrouth durant les cent dernières, années
ne se reproduiront sans doute pas a court terme : la ville, qui a simplement
profité des conjonctures régionales et internationales, doit aujourd’hui
en créer. S’impose donc la nécessité de trouver d