Avant la fin de ce jour, 13 700 enfants de moins de cinq ans seront morts de
la faim ou des conséquences de la malnutrition. Avant la fin de ce jour,
et de tous les autres qui suivront. Ce chiffre hallucinant, mais bien réel,
ressort du rapport 2004 sur l’insécurité alimentaire dans
le monde, établi par l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation
et l’agriculture (FAO), qui estime a cinq millions par an le nombre
des décès infantiles par insuffisance de nourriture. Ils constituent
la moitié des morts dues a la faim (dix millions) a l’échelle
planétaire. Le rapport comptabilise 852 millions de personnes souffrant
de malnutrition chronique pour les années 2000 a 2002, pour la
plupart (815 millions) dans les pays en voie de développement. Mais,
a l’heure de l’essor de la mondialisation libérale,
le bilan des morts de faim est en augmentation de dix-huit millions par rapport
aux années 1995-1997. La roue de l’histoire s’est mise a
tourner a l’envers pour une partie grandissante de la population
mondiale, pour les enfants du Sud qui apprennent par le miracle de la révolution
informationnelle que des garçons et filles de leur age, aux États-Unis
notamment, sont menacés d’une épidémie d’obésité. i3p9pu
C’est donc au nombre de ces morts d’enfants a la hausse que
se mesure l’accroissement de la fracture planétaire. Et encore,
chaque statistique ne chasse pas celles qui la précèdent. Les
chiffres de la FAO s’ajoutent aux bilans d’ONUSIDA et de l’OMS
sur la criminelle injustice en matière de prévention et d’accès
aux soins. Fatalité que tout cela ? Les femmes et les hommes d’Afrique
sont-ils condamnés a inhumer leurs enfants et a mourir
plus jeunes que leurs propres parents ? Il y a bien quelque chose de pourri
au royaume du marché mondial, qui vide les étals du Sud et engraisse
les groupes transnationaux de l’agroalimentaire. Le beau mot d’ordre
altermondialiste « Un autre monde est possible » ne tient pas du
rêve, car, comme l’analyse le rapport de la FAO, faire reculer la
faim n’est pas une tache titanesque. « On sait comment s’y
prendre pour mettre un terme a la faim, observait ainsi M. Hartwig de
Haen, sous-directeur général de la FAO, responsable du département
économique et social. C’est une question de volonté politique
et de priorité. »
Tout est la en effet. En premier lieu, il faudrait que par des mesures
concertées « l’on améliore les disponibilités
alimentaires et les revenus des pauvres en renforçant leurs activités
productives ». Parallèlement, mettre en oeuvre « des programmes
visant a donner aux familles les plus nécessiteuses un accès
direct et immédiat a la nourriture ». Pour parer a
l’urgence et endiguer l’hécatombe, le rapport préconise
de « privilégier des mesures qui auront l’effet le plus immédiat
sur la sécurité alimentaire de millions de personnes vulnérables
». Mais la baisse des cours des produits agricoles (la majorité
des victimes de la faim vit dans des zones rurales) sous la pression des grands
groupes du Nord, les programmes d’ajustement structurels du FMI, qui sapent
les rares protections sociales et commerciales dans les pays les plus faibles,
sont autant de facteurs d’enfoncement dans la misère.
Les coûts directs provoqués par la malnutrition, et qui pourraient
être consacrés a d’autres défis sociaux, s’élèvent
selon la FAO a quelque trente milliards de dollars, alors que chaque
dollar investi dans la réduction de la faim rapporterait l’équivalent
de cinq a vingt dollars. Question de volonté politique, donc.
Il est intéressant, a ce propos, de compléter la lecture
du rapport de la FAO en consultant celui que l’organisation humanitaire
Oxfam consacre aux promesses non tenues par les pays riches. Alors que ces pays
se sont engagés dans les années soixante-dix a consacrer
0,7 % de leur revenu national a l’aide publique au développement,
celle-ci ne dépasse pas 0,25 % dans les vingt-deux pays occidentaux membres
du comité d’aide de l’OCDE. Les pays riches, révèle
Oxfam, dépensent deux fois mois d’argent pour l’aide publique
au développement que dans les années soixante. Et on ose, aujourd’hui,
employer sans honte le mot « communauté internationale ».