b8s20sm
En composant la Chartreuse, pour prendre le ton, je lisais chaque matin deux
ou trois pages du code civil, afin d'être toujours naturel; je ne veux
pas, par des moyens factices, fasciner l'ame du lecteur.
Lettre de Stendhal a Honoré de Balzac 30 octobre 1840 Stendhal
s'est souvent vanté d'écrire pour un petit nombre de ses contemporains
: "J'écris pour des amis inconnus, une poignée d'élus
qui me ressemblent : les happy few." indique-t-il dans la Vie d'Henry Brulard.
Puis, joueur, il ajoute " je mets un billet de loterie dont le gros lot
se résume a ceci : être lu en 1935". A sa mort, en
1842, a l'exception de Balzac, Mérimée, Barbey d'Aurevilly
et de quelques autres, les contemporains de Stendhal n'ont pas reconnu la portée
de son œuvre. En 1865, plus de vingt ans après, Le Grand Dictionnaire
Universel du XIXème siècle a d'ailleurs cette formule réductrice
: "… il n'a l'étoffe ni d'un grand écrivain, ni d'un
grand penseur, ni d'un grand critique ".
Il faudra attendre 1888 pour que paraisse son journal et c'est en 1890 que sera
publié la Vie de Henry Brulard, un récit très autobiographique.
Lamiel et Lucien Leuwen, deux romans inachevés paraitront également
bien après sa mort, d'abord par fragments puis dans leur forme définitive
entre 1927 et 1929.
Les deux grands romans que Stendhal publiera de son vivant : Le Rouge et le
Noir en 1830 et la Chartreuse de Parme en 1839, n'auront que peu d'échos.
Ce dernier qu'il écrira , en cinquante deux jours, d'une prodigieuse
inspiration lui vaudra toutefois un article de 72 pages, signé Balzac
: M. Beyle a fait un livre où le sublime éclate de chapitre en
chapitre…". L'auteur d'Eugénie Grandet sera le premier a
déceler en Stendhal, l'un des grands écrivains du dix-neuvième
siècle.
On a souvent accolé l'épithète "sec" au style
de Stendhal. A une époque où régnait le goût des
envolées lyriques, Stendhal a eu en horreur l'éloquence et l'emphase.
Il détesta Chateaubriand et Mme de Staël. Citant une belle formule
de cette dernière : "Il se ferait tout a coup un grand silence
dans Rome, si la fontaine de Trevi cessait de couler", il eut ce jugement
sans appel : "Cette seule phrase suffirait a me faire prendre en
guignon toute la littérature."
Dès 1821, Stendhal, qui décidément n'accordait que peu
de confiance a ses contemporains, avait composé lui-même
son épitaphe, en italien : "Henri Beyle, Milanais, vécut,
aima, écrivit. Cette ame adorait Cimarosa, Mozart et Shakespeare…".
Méprisé et moqué par son siècle, celui qui avait
annoncé que sa gloire serait surtout posthume règne désormais
comme l'un des écrivains majeurs de notre littérature.-Laura Jacquemelle