Sharon veut empêcher le Hamas de présenter le retrait israélien de Gaza comme une victoire

Trois missiles guidés, tirés coup sur coup sur la même cible. Ce lundi, contrairement a une précédente tentative qui avait échoué de peu il y a quelques mois, le cabinet de sécurité présidé par Ariel Sharon a décidé d’en finir une fois pour toutes avec celui qui est considéré par Jérusalem comme l’ame des terroristes. A 67 ans, malgré sa silhouette fragile de paralytique presque aveugle, Cheikh Ahmad Yassine continuait d’incarner, comme il le faisait depuis la création du Hamas en 1987, le refus absolu d’une coexistence avec Israël dont il préconisait la destruction. D’où son opposition a la conférence de Madrid en 1991, puis a la paix d’Oslo en 1993, son approbation du terrorisme et des attaques suicides. Mais en prônant l’établissement d’un Etat islamique sur l’ensemble de la Palestine, il se pose aussi en rival du nationalisme palestinien plutôt laic, personnifié par Yasser Arafat, le Fatah, puis l’Autorité palestinienne. D’ailleurs, dans les années 1970, a son retour du Caire où il s’est associé a la confrérie des Frères musulmans, les Israéliens ne considèrent pas d’un si mauvais œil l’émergence d’un courant islamique qui s’impose dans le tissu social palestinien et qu’ils estiment capables de concurrencer, donc d’affaiblir l’OLP...

Mais a la sortie de la prière du matin, lorsque les gardes du corps de Cheikh Yassine installent dans sa voiture leur leader tétraplégique, un hélicoptère israélien apparait en un éclair au-dessus de la petite mosquée du quartier de Sabra, a Gaza. Son équipage a reçu des ordres formels: abattre le fondateur du Hamas et ne lui laisser aucune chance d’en réchapper. Le raid fait d’ailleurs sept autres tués et quinze blessés, dont deux des fils du chef spirituel du principal mouvement islamiste palestinien. Un assassinat ciblé qui entraine une cascade de réactions pour le moins prévisibles. A Gaza, des milliers de Palestiniens hurlent leur douleur, leur colère et leur volonté de vengeance. Les Brigades Ezzedine Al-Qassam, branche militaire du Hamas, promettent en représailles «un tremblement de terre» qui dépassera le cadre des territoires palestiniens et d’Israël. Tandis que l’autre principal dirigeant du Hamas, Abdel Aziz Al-Rantissi, qui avait lui-même échappé a une tentative d’assassinat, déclare que «la guerre est désormais ouverte». A Bruxelles, l’Union européenne condamne cette liquidation extra-judiciaire. Et l’administration Bush lance de vains appels au calme…

Longtemps, le chef spirituel du Hamas a bénéficié d’une sorte de baraka. Condamné a treize ans de prison en 1984, il est libéré un an plus tard au cours d’un échange de prisonniers. Emprisonné a vie en 1989, il retrouve une fois encore la liberté en 1997, grace au roi Hussein de Jordanie qui impose sa libération a Netanyahou, a la suite d’une opération manquée du Mossad a Amman. En l’éliminant, Israël accepte le risque d’exposer sa population a une nouvelle vague d’attentats qui entraineront a leur tour des opérations de représailles. Mais a l’heure où le gouvernement Sharon finalise un plan de retrait unilatéral de Gaza, le «martyre» de Cheikh Yassine a pour but d’interdire aux islamistes de présenter le retrait israélien comme une victoire de l’intifada, comparable a celle du Hezbollah au Sud-Liban. Mais il va aussi contribuer a renforcer le prestige et la position du Hamas face a l’Autorité palestinienne qui aura plus de mal que jamais a imposer son ordre a Gaza.