Vers la deuxième moitié du XXe siècle, le Romantisme disparait
et laisse la place a la modernité du moment, aux expériences
novatrices. Baudelaire appartient au Romantisme, mais il est le précurseur
du symbolisme et par son livre “Les Fleurs du mal” il crée
la première oeuvre qui introduit le souffle moderne dans le lyrisme. z7p3pi
Pour lui, la souffrance la plus aigue, atroce et complexe pour l’homme
moderne est le spleen, fait de douleur, de, mépris pour les contemporains.
Devant l’atmosphère pesante, il cherche des refuges, des solutions
décevantes, il prie Satan, il se révolte, et finalement il accepte
le grand voyage au-dela.
Poète citadin, il influence le goût moderne par l’expérience
exotique et par l’expérience du dandysme, comme symbole du non-conformisme.
Pour lui, la faculté maitresse humaine est l’imagination créatrice
qui explique aussi l’idée de correspondance dans son oeuvre, l’idée
que toutes les choses parlent. Cette correspondance fonctionne a deux
niveaux: au niveau des objets et des sensations (une sensation peut communiquer
avec une autre; par exemple, voir avec le toucher. C’est ce qu’on
appelle “la synesthésie”) et entre toutes les choses et l’au-dela,
le monde des idées pures et de la beauté pure.
Pour Baudelaire, la nature est le monde caché, l’analogie universelle
derrière les formes et les couleurs, et la poésie doit transgresser
le phénomenal, le visuel, pour arriver a l’essence (le panthéisme)
Son oeuvre exprime la double postulation simultanée (l’extase et
l’horreur de la vie: le spleen et l’idéal, l’aspiration
vers Dieu et vers Satan. Dans son esthétique, le beau coexiste avec le
mal. Cette double postulation est présente dans la conception de Baudelaire
sur l’amour: il se sent attiré de la Vénus Noire (Jeanne
Duval) qui symbolise la volupté physique, l’épanouissement
des sens, mais aussi par la Vénus Blanche (Mme. Sabatier), qui incarne
l’amour spiritualisé et pur. Baudelaire est celui qui a fait la
découverte du moi profond, avant les psychanalistes, de l’angoisse,
de l’inquiétude, des profondeurs du moi, des couches qu’on
n’avait jamais soupçonnées;
Le rôle de la poésie est non pas de décrire les choses,
mais de déchiffrer le monde, car après la mort, l’homme
entre dans le circuit de la matière, la décomposition est le commencement
d’un autre cycle naturel, le circuit universel.
Cette idée explique aussi sa conception sur le thème du voyage.
Il y a des hommes qui partent pour quitter un pays, une femme et les vrais voyageurs
sont ceux qui partent pour partir. Qu’est-ce qu’ils découvrent?
Les mêmes hommes, avec les mêmes vies et petitesses. Donc, le voyage
est impossible, on ne peut sortir de son propre moi, la solution est la mort,
pour arriver dans l’inconnu, au-dela, dans le circuit universel.
Toutes ces idées générales se retrouvent dans un poème
emblématique de Baudelaire, “Spleen” , que je vais essayer
d’analyser.
Spleen
Le sentiment dominant du poème est l’atmosphère indéfinie,le
message négatif de douleur, l’état de détresse. C’est
une composition en cinq strophes, dont trois commencent de la même façon,
la quatrième commence autrement, la cinquième est isolée
des autres par un tiret, c’est presque une conclusion.
“Quand le ciel…”
“Quand la terre…”
“Quand la pluie…”
“Des cloches…” (une construction ascendente, on passe d’une
douleur terrestre, céleste a une sensation auditive. Dans la cinquième
strophe, la construction devient descendente, on revient a la tonalite
des trois premières strophes. C’est le cri de quelqu’un qui
traverse une insatisfaction profonde. Elle est transmise par le ton, la mélodie
du texte, il a exploité la fréquence de “s”; on, an,
ont, on qui transmettent la sonorité des cloches, d’une musique
funèbre (les voyelles nasalisées qui semblent accompagner un enterrement).
Ces syntagmes sont placés a la rime ou au début du vers,
pour la musicalité; l’insatisfaction du poète est suggérée
aussi par les mots-clé qui laissent des trainées dans nos
ames: des mots du côté négatif: couvercle, plafond
pourri, vaste prison, corbillard, drapeau noir, cachot humide. Ces syntagmes
font une famille qui nous émeuvent, qui réveillent en nous une
sorte de malheur, de manque de liberté.
A la sensation d’humide s’ajoute celle du pourri, du corbillard,
donc une vision de la mort et il y a l’impression de se trouver privé
de liberté, dans une prison qui est le monde écrasant où
le poète étouffe.
Tout le poème parle d’une crise de spleen qui lui a provoqué
un état de détresse excesive et il donne les raisons du spleen.
La première strophe introduit une sensation d’étouffement,
un jour fait de brumes, triste, de l’automne peut-être; le ciel
est bas et lourd, car le poète ne peut plus respirer. (C’est le
mépris pour les conditions terrestres, le dégoût pour la
vie banale, la révolte pour l’idéal vaincu. Le ciel est
intérieur et extérieur, c’est le ciel de l’ame
qui pèse comme un couvercle; ce ciel peut être aussi l’idéal
qui pèse a son intérieur, car il est brumé, noirci.
C’est le ciel dans le plan du réel et dans le sens figuré.
Les mots “lourd, pèse, couvercle” deviennent le symbole d’une
ame.emprisonnée. Pour exprimer la comparaison, Baudelaire utilise
“comme”, a cause de “om” nasalisé qui
crée la musicalité et l’effet des nasales.
L’orchestration de “s” et “z” réalise une
atmosphère pesante, son isolement est parfait, il est fermé et
le ciel verse ce jour triste, noir. Baudelaire est mélancolique, d’humeur
noire et pour lui le jour est plus noir que la nuit.
L’idée de “verser” est en rapport avec “humide”,
“la pluie”, les “trainées”, “pleurer”,
car la pluie est un élément constant dans les poèmes de
Baudelaire (le même champs semantique). Il utilise la hyperbole, quand
il parle du jour noir, il introduit une gradation de l’atmosphère
triste, sans donner des explications, mais soumettant le lecteur a une
tension.
La deuxième strophe se trouve sous le signe du cachot humide, qui symbolise
l’idée que la matière tient l’esprit prisonnier. C’est
le cachot de la terre qui nous empêche d’arriver a une liberté
spirituelle. Pour lui, l’espérance ressemble a une chauve-souris.
Pour les catholiques, l’amour, la foi, l’espérance sont trois
grandes vertues. Quand on désespère, on annule la possibilité
de l’aide de Dieu, si on désespère, on perd la foi, Dieu.
Or, Baudelaire n’était pas un bon catholique, car s’il l’avait
été, il aurait choisi comme symbole de l’espoir la colombe
blanche, mais il préfère choisir comme image une chauve-souris,
grisatre, hideuse. Ce n’est pas la colombe qui s’élance
le matin vers le monde, mais c’est une caricature de l’espoir qui
est a jamais emprisonné, glué a la matière.
Dans la troisième strophe, il ajoute aux éléments de l’atmosphère
pesante, d’autres et il élargit les dimensions. Le cachot est le
prison où les arraignées font des filets (les barreaux), alors
le crane du poète devient lui-aussi prison. Les arraignées
sont ses idées, ses pensées, sa propre maladie.
La quatrième strophe marque un autre rythme, une rupture complète
avec la tonalité des premières strophes. L’effet toujours
attardé vient dans cette strophe. Quelque chose s’est rompu dans
l’ame du poète, la crise éclate; il entend des cloches;
c’est l’interprétation d’une ame nerveuse, en
proie a une crise. Il voit des esprits errants, des fantômes, car
Baudelaire est obsédé par la présence de l’autre
monde, il est hanté par les fantômes; il a des visions fantastiques.
On reconnait ici un élément dantesque, la vision de l’enfer
avec des esprits gémissants. Etre sans patrie veut dire être sans
espoir, exilé; l’adverbe “opiniatrêment” exprime
le cri de douleur, l’impuissance du poéte.
Le tiret est employé fréquemment par les romantiques qui introduisent
ainsi l’idée d’un temps qui s’écoule. La cinquième
strophe marque une autre rupture, car après le déclenchement de
la crise, il est dans le même état désespéré
du début du poème.
Les corbillards sont les souvenirs et le désespoir du poète; ses
meilleures aspirations se transforment en corbillards. Il est accablé,
terrassé par sa douleur. Donc, il enterre ses aspirations et il assiste
a son propre enterrement.
Deux éléments sont fondamentaux dans cette strophe: l’espoir
et l’angoisse. L’espoir est vaincu, le poète baisse la tête,
il a le crane incliné, pour laisser place a l’angoisse,
au spleen qui plante son drapeau noir dans son ame. Autrefois, c’étaient
les pirates qui avaient l’habitude de planter des drapeaux noirs, mais
les pirates sont un symbole de l’ennemi qui manque de loyauté et
de pitié. Alors, le poète se plaint d’être vaincu
dans un combat inégal.
Déchiré entre l’idéal et la réalité
du spleen, déçu de la vie moderne des tableaux parisiens où
il essaie de trouver des échappatoires, le poète cherche un refuge
dans la solitude, dans le vin et l’ivresse, dans la débauche et
la perversion, dans la révolte pour ne trouver finalement une issue que
dans la mort.